Personne ne change jamais ; c’est la lumière qui change et nous donne un aspect différent

Purana interviewée par Matelote

– Bonjour Purana, 

Je me souviens d’un petit essai que tu avais publié il y a quelques années. Je réfléchis régulièrement au titre que je trouve toujours intrigant : Personne ne change jamais ; c’est la lumière qui change et nous donne un aspect différent.
Pourrais-tu nous en dire plus ?

– Dans une société, il n’y a que quelques personnes qui ne font qu’émettre des rayons. De même, il y a peu de gens qui ne font qu’absorber ces derniers, très docilement, quelle que soit la qualité de ces rayons. 
Cependant, la majorité, la plupart des gens sont des réflecteurs. Ils renvoient ce que l’on leur donne : de l’amour pour l’amour, de la haine pour la haine, du ridicule pour le ridicule,…

Cela veut dire que la source des rayons a de la chance si elle contient et qu’elle émet des rayons chaleureux et apaisants. Elle est condamnée à vivre parmi des ennemis, si elle n’émet que de l’animosité.

Pour rendre les choses encore plus compliquées, une poignée de personnes transmettent spontanément leurs propres rayons authentiques. En même temps, ils possèdent le “talent” d’absorber ce qu’ils reçoivent. Ils les modifient, selon leurs normes et valeurs, que ce soit inné ou acquis, pour le meilleur ou pour le pire. Ensuite, ils les réémettent. 
Voici les prophètes, voici les Gandis, voici les bellicistes …

Je tiens à souligner que ce que je dis ici n’est pas une déclaration scientifique. Ce n’est qu’une courbe hypothétique dans ma tête, une sorte de courbe de distribution en cloche (asymétrique à gauche) . 

J’ai essayé, sans aucune prétention, de formuler l’image de cette courbe avec des mots : à l’extrême gauche, réflexion ; à l’extrême droite, émission.  
Je m’imagine les comportements de la majorité d’entre nous répartie entre les deux extrêmes. 
Les valeurs aberrantes (les prophètes / Gandis / bellicistes / …) dépassent cette courbe hypothétique.
Il va sans dire qu’en réalité, il existe un arc-en-ciel de variables dont les composantes ne sont pas toujours visibles à l’œil nu.

– Parles-tu de rayonnement qu’on peut émettre à travers ses écrits, par exemple ?

– Oui, c’est ça, comme tu le dis : “par exemple” !
Pourtant, ton exemple est la plupart du temps une belle lumière. Du moins, c’est souvent l’intention de l’écrivain. Une telle création pourrait fonctionner comme une source d’inspiration, une sorte de véhicule magique nécessaire pour décrire la magie de la vie en rêvant sur le dos de ce cerf-volant.

En revanche, je pourrais te donner des exemples des rayons destructeurs qui sont là aussi, comme ceux émis par ce fameux leader charismatique, dont les rayons ayant été réfléchis par des millions de gens, des “réflecteurs”, et provoquant la Seconde Guerre Mondiale.  

– Alors, en résumé, tu divises les gens en trois catégories : 
  > les réflecteurs (passifs) ;
  > les émetteurs (actifs) ;
  > un mélange des deux.

– Concernant les deux premières catégories, je parle plutôt des inspirés versus les inspirants. 
Mais, encore une fois, sache que ce que je dis n’est qu’une théorie, ma théorie, dans laquelle toutes les formes de jugements sont rejetées, inhérente à l’idée que “Personne ne change jamais ; c’est la lumière qui change et nous donne un aspect différent”. 
Souvent je me demande, si quelqu’un doit être puni pour un comportement socialement inacceptable. Pourquoi toujours punir le réflecteur et jamais le provocateur ?

– Je te rejoins quand tu suggères qu’on ne change pas les gens et qu’ils nous renvoient nos émissions. En revanche, on peut changer à condition qu’on en ait envie, je trouve.

– Afin de changer, il ne suffit pas d’avoir envie de se changer. Un certain niveau de force de volonté est essentiel pour faire réaliser son envie. 
Quant à “l’absence d’envie”, cela pourrait être, entre autre, le symptôme d’une maladie, la dépression, par exemple. 
Comment retrouver l’envie si même l’envie de la chercher est absente ?
Je serais bien la dernière à blâmer quelqu’un qui n’a pas envie.

Certains disent que la réussite d’une libération à une addiction dépend de la force de volonté plutôt que de l’envie. 
Mais comment retrouver la force de volonté si même la volonté de la chercher est absente ?
Je préfère avoir de la compassion pour un alcoolique plutôt que de le condamner. 

– D’accord. S’il n’a pas envie, je ne crois pas qu’on puisse l’aider. En revanche, s’il a peu de volonté, il peut en avoir davantage en s’entraînant régulièrement. Cela me semble évident.

– Veux-tu me dire que les cerveaux des gens accomplis sont faits de tissu nerveux alors que ceux des moins épanouis sont constitués d’une sorte de muscle qui devrait être entraîné continuellement ? C’est ce que tu sous-entends ?

– Pas exactement. Je voulais dire que nous sommes tous potentiellement doués d’un certain degré de volonté, dont la force peut être optimisée par l’entraînement. Non?

– La différence c’est qu’avec un cerveau totalement musculaire, nous ne pouvons jamais arrêter l’exercice. Pour cela, il faut “l’envie”. Si nous n’en avons pas, nous arrêtons tôt ou tard d’entraîner nos muscles. De plus, si nous en faisons trop, la fatigue nous empêchera d’aller à la salle de sport.

– J’observe souvent une dichotomie entre ce qu’on dit et ce qu’on fait. 
Es-tu sûre de n’avoir jamais blâmé quelqu’un qui n’avait pas envie ?

– J’avais dit que “je serais bien la dernière à blâmer quelqu’un qui n’a pas envie”. 
Je ne serais presque jamais la première, je le sais. Mais, je sais aussi que parfois je le fais, oui, moi aussi. 
Parfois je blâme ce “quelqu’un qui ne pouvait faire que ce qu’il a fait”, étant comme il est. 
Je sais aussi que chaque fois, après avoir blâmé quelqu’un, après avoir commis cette erreur, je suis inondée par un sentiment de culpabilité et que les mots doux comme “c’est humain que l’on blâme certains comportements” ne m’aident pas du tout à me pardonner. C’est toujours le temps qui met du baume sur ma plaie.

Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre ! 

– Ce débat m’amène à une autre question : pourquoi la volonté est elle généralement une chose que l’on valorise chez quelqu’un ?

– On a généralement tendance à valoriser ce que l’on croit être une qualité personnelle pour, par exemple, les choses qui sont en nous, des cadeaux qui nous ont déjà été donnés à la naissance (les gènes) ou plus tard (l’éducation, la formation).
C’est ainsi que nous admirons quelqu’un pour sa beauté, son intelligence, sa créativité, son énergie, sa joie de vivre, sa force de volonté, …
Toutes ces belles choses, ne sont-elles pas, les signes de la répartition inéquitable des “goodies” plutôt que des qualités admirables ?
Peut-être que nous admirons des qualités que nous n’avons pas en nous.

– On dirait que cette lumière est émise par l’inné et l’acquis.

– Ce “rayon” dont je parle, n’est évidemment qu’un langage symbolique.
C’est un rayon qui au premier abord semble homogène comme une lumière blanche. Cependant, il abrite un arc en ciel. Dans ce cas, l’inné et l’acquis sont les plus forts composants.

Bien que je sois une disciple de l’école de “l’inné” plutôt que de celle de “l’acquis”, je suis d’accord avec toi, étant donné que ces “acquis” ne sont que les “reflets des rayons”. 

– Juste une dernière question. Ne penses-tu pas que le déterminisme et la rigidité sont des jumeaux?

– Pas toujours, sauf si tu fais référence à un fanatisme extrême.
Comme je l’ai dit au début, “la plupart d’entre nous, sont des réflecteurs”. Ils donnent ce qu’ils reçoivent; œil pour œil, amour pour amour. La constante de leur comportement est qu’ils changent en fonction de ce qu’ils reçoivent. Autrement dit, ils sont flexibles. Le déterminisme et la flexibilité peuvent coexister sans violer les normes sociales et / ou morales. Grâce à cette confluence, la partie flexibilité ne laisse pas beaucoup de place aux comportements irresponsables des déterministes. Étant flexible, on est plus ouvert à recevoir des conseils et à mieux maîtriser (temporairement) notre faim de récompenses immédiates. 
Cette coexistence avec la flexibilité est presque impossible chez ceux qui ont une volonté infaillible. 
Dans les discussions politiques, par exemple, l’accord final est souvent conclu grâce à la flexibilité plutôt qu’à la rigidité.

– Je ne sais pas si j’ai bien compris, mais il me semble qu’en poussant un peu ton discours, on va arriver à justifier n’importe quelle conduite et à déresponsabiliser n’importe qui…

C’est inné, donc je suis comme ça, je ne suis pas responsable.

C’est acquis, donc cela m’a été transmis par un mauvais rayon, et je ne suis pas responsable non plus. 

Comme une sorte de fatalité qu’il faudrait accepter, fatalité peut-être prégnante dans certaines cultures, mais pas dans la culture “occidentale” qui valorise le sens des responsabilités, l’autonomie, la fiabilité, etc.. Je ne dis pas que c’est bien, mais c’est comme ça, et mon bain de culture provoque que je n’adhère pas à cette fatalité. 
Je ne crois pas à la fatalité, mais cela aussi c’est quelque chose d’acquis, qu’on m’a instillé… Je veux dire par là que la façon dont on voit la question dépend aussi de notre culture, et pour cela, il y a des rayons qui nous transpercent de partout à notre insu.
Pour ma part, je pense, tu l’auras compris, qu’il y a en nous beaucoup plus d’acquis que d’inné.

– Je pense effectivement que tu ne m’as pas comprise ! 
C’est exactement ce que l’on ne doit pas faire : “pousser”. 
J’avoue que maintenant c’est moi qui ne comprends pas quand tu me dis qu’il y a en nous beaucoup plus d’acquis que d’inné.
D’où vient cette certitude ?
Moi qui ai tendance à juger, je préférerais dire “c’est son inné, donc je dois l’aider avec compassion pour qu’il découvre qu’il y a aussi de la beauté qui demeure dans son âme et que son inné, comme celui de tout le monde n’est pas seulement mauvais”. Tout comme je préfèrerais dire “c’est peut-être moi qui ai ainsi fait monter à la surface le pire en lui”. 

Je suis sûre que tu ne voulais pas offenser la culture “non occidentale”. 
Même si j’évite toujours de parler de moi et de ma vie privée sur un forum public, je peux t’assurer que tu ne dois pas t’inquiéter de ma culture, ni de ma formation.

– L’allusion à la culture (l’acquis pour moi) se voulait parfaitement neutre ; un constat, c’est tout, et qui n’est pas de moi.
Et si l’on voit dans ma remarque une offense à d’autres cultures où le fatalisme n’est pas dévalorisé, c’est probablement parce que notre culture nous a appris à le dévaloriser et à valoriser la responsabilité personnelle en toute circonstance. 
Encore une fois, je ne dis pas que c’est bien, mais c’est comme ça. Aussi vrai qu’il y a des différences entre les cultures.
J’oserais plagier la vieille Simone : “On ne naît pas différent, on le devient (au premier souffle)”. Ce qui me permettrait d’avancer qu’il n’y a pas grand chose d’inné qui nous différencie, et qu’on serait donc susceptible de changer.

Je trouve ton français tout à fait remarquable, mais je comprends que quelquefois on enrage un peu d’être coincé par les mots d’une autre langue.

– Je sais bien ce que tu voulais dire et que tu es loin de vouloir m’offenser.
Ces rayons dont j’aime parler, peuvent parfois arriver après être passés par le prisme du traducteur dans nos têtes, et puis ils se présentent sous la forme d’une image dispersée loin de ce que l’on voulait exprimer. 

Ne t’inquiète pas. Je me rends toujours compte de ce phénomène qui peut même déchirer des êtres chers.
C’était pour être certaine que j’en ai parlé. Peut-être aussi un petit peu comme un prétexte pour présenter un autre sujet à méditer : le prisme de nos têtes. Mais… c’est pour une autre fois.
Aucune rancune, mon amie. C’est de la paix dont je parlais.

Je te remercie ma chère pour ta patience et pour ta gentillesse. 

image : Ontwerp voor vignet met zonnebloem en zon